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Une intéressante appréciation de la notion de faute civile délictuelle en matière de droit des sociétés
» 12 mai 2023
La Cour de Cassation a récemment adopté un arrêt dont la lecture est assez intéressante au regard des enjeux.
Rappelons les faits : dans les années 2000, une société française spécialisée dans la fabrication de verre de sécurité rencontre des difficultés à répétition.
Elle change plusieurs fois de mains, et rejoint finalement le groupe slovène Prevent. Son activité est principalement réalisée au profit de Volkswagen, son plus gros client.
En 2011, à l’issue de plusieurs années de difficultés, probablement aggravées par les conséquences de la crise de 2008, la société est revendue par le groupe Prevent.
Cette cession intervient en octobre 2011, l’acquéreur présentant alors son plan de bataille pour tenter de relancer la machine : financer des investissements pour développer de nouveaux outils, et négocier une augmentation des tarifs clients.
L’objectif de cette augmentation ? 30 % de majoration du prix de vente, face à la machine de guerre que représente Volkswagen. Ambitieux mais, semble-t-il, nécessaire au vu des difficultés.
L’opération finalisée, cette négociation est tentée, mais n’aboutira pas.
S’ensuit donc une déclaration de cessation des paiements, ouverture d’un redressement judiciaire, converti ensuite en liquidation judiciaire et entrainant notamment le licenciement de l’intégralité des salariés.
En regardant les délais, l’on peut s’étonner : entre la cession à un repreneur qui venait de présenter un plan pour redresser la situation, et la déclaration de cessation des paiements, il s’est écoulé un mois et trois jours.
En interne, les salariés semble-t-il s’étonnaient à l’époque de cette énième reprise, basée sur un plan nécessitant un accord de Volkswagen sur une modification majeure du prix de vente, qui leur aurait semblé inenvisageable.
Contestation donc, devant les prud’hommes, et les salariés réclament non seulement une indemnité au titre de leur licenciement mais également des dommages et intérêts.
Et leur avocat, suspectant que la société en cours de liquidation ne pourrait régler ces dommages et intérêts, eut alors une idée intéressante : assigner non seulement la société qui les a licenciés, mais également la société-mère qui avait procédé à la cession.
Le raisonnement juridique est proprement mené : nul lien contractuel n’existe directement entre les salariés et la société-mère. Seule la responsabilité civile délictuelle est donc susceptible d’ouvrir la voie à une indemnisation par une condamnation in solidum.
Rappelons le principe : en présence d’une faute ayant causé un préjudice, l’auteur de la faute est amené à indemniser le préjudice d’autrui.
En présence de plusieurs auteurs, la condamnation peut être prononcée in solidum, c’est-à-dire que chacun d’entre eux est alors redevable de la totalité de l’indemnisation, à charge pour les coauteurs de s’arranger entre eux par la suite.
Pratique donc, lorsque l’un des coauteurs ne pourra rien payer : le risque de l’insolvabilité est alors supporté par le coauteur et non par la victime.
Le préjudice ne soulevait pas de question. En revanche, la question de la faute est intéressante, en particulier lorsque nous sommes confrontés à un contexte de groupes de sociétés.
Le raisonnement revient donc à dire que la société-mère a commis une faute dès lors qu’elle ne s’est pas assurée de la viabilité du projet.
Aux fins d’une meilleure compréhension, transposons à un cas concret :
Imaginez-vous propriétaire d’une voiture. Le moteur fonctionne mal. Vous envisagez d’avoir à payer son transfert à la décharge. Un voisin la trouve chouette et vous propose de vous la racheter. Pas très cher, mais c’est toujours mieux que d’avoir à payer pour vous en débarrasser. Le contrat est fait, toutes les déclarations sont propres. Votre voisin vous a vaguement expliqué qu’il prévoyait de changer tout le moteur pour la refaire circuler, vous n’y croyez pas trop mais, après tout, ce n’est pas tellement votre problème de ce qu’il fera de SA voiture après l’avoir achetée.
La cession faite, les modifications sont tentées, le moteur explose. Et on vient vous demander de payer la casse, car votre voisin n’a plus de sous. Et pour justifier cela, on vous explique que vous étiez censé regarder ce qu’il prévoyait de faire, analyser en détail les chances de succès de l’opération, émettre un avis d’expert et refuser de procéder à la cession car son plan avait peu de chances de faire fonctionner le moteur.
On oublie de signaler que, si vous n’aviez pas vendu à votre voisin, vous auriez envoyé la voiture à la décharge directement. On se contente de se dire que vous auriez peut-être dû être plus prudent.
C’est bien là que tout l’enjeu de l’analyse d’une telle décision apparaît.
D’une part, on ne peut que comprendre les salariés qui voyaient leur entreprise passer de mains en mains, sur des plans faits sur la comète et voués à l’échec. Et sur ce dernier point, les faits de l’espèce ne peuvent que leur donner raison.
D’autre part, peut-on vraiment demander à une entité privée de renoncer à vendre quelque chose qui le gène lorsqu’on lui fait une offre ?
Saisie de cette question, la Cour de Cassation n’a pu valider cette deuxième alternative, qu’on reconnaît immédiatement comme attentatoire au droit de propriété.
Sans compter les risques exceptionnels que les sociétés pourraient encourir sur l’adoption d’une telle décision.
La solution est donc logique, et probablement bienvenue car on peinera à imaginer les conséquences de la décision inverse.
Pourrait-elle devenir différente, notamment si la société-mère avait adopté une raison d’être (article 1835 du Code civil) indiquant notamment une préoccupation particulière par exemple en ce qui concerne l’emploi ou le développement économique ?
La Cour de cassation aurait alors pu trouver un texte pouvant justifier l’existence d’une obligation d’attention particulière sur ce type d’opération.
Dans cette hypothèse, une société ayant voulu avoir un caractère et un impact plus vertueux sur notre économie pourrait se retrouver désavantagée sur le plan de la technique juridique, par rapport à une société dont les bénéfices seraient la seule préoccupation.
Là n’était pas l’objectif du législateur lors de la création de cette notion, mais tout juriste est bien conscient que la relecture par les tribunaux d’un texte fait parfois apparaître des solutions parfaitement contraires aux intentions de son auteur.
Matthieu RENAUT
Avocat
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